Il est parfois un rendez-vous manqué qui sonne le glas au coeur d'une mère.
Tu t'installes et je te porte, au creux de moi, petite bestiole. Qui seras-tu, que seras-tu?
Ma tête est pleine de rêves, je te vois homme ou femme, enfant de mon enfance ou rêve de liberté. Et tu nourris mes peurs. Peur d'être moi, peur de t'avoir. Refus, larmes, félicité, ça tourbillonne et se bouscule au creux de mon corps habité.
L'enfant arrive un jour, et le rêve par bribes s'envole. Il y a des larmes et de la sueur, il y a du sang et de la chair. Et des visages masqués, et des mains de plastique qui emportent au loin le petit être hurlant.
On voit un inconnu, là, posé dans nos bras. Où sont la déferlante, le coeur qui explose, et les papillons roses?
Le lien s'est détaché, on ne se connait plus.
A l'intérieur la femme pleure. Où est-tu mon bébé ? Où est-tu mon amour ? Je cherche dans le noir ta main dans la mienne, où est-tu ? viens !
Les jours avancent et les mains de la mère se posent sur le corps de l'enfant. Et le coeur de la mère bat contre le coeur de l'enfant. Et peu à peu l'amour arrive, l'amour s'apprend. Il devient viscéral, total, immense, il balaie et emporte.
Mais la blessure est là, qui guette et qui attend. Ô toi qui fait ma joie, qui grandit et qui chante, ô toi qui te vois dans mes yeux, qui a tant besoin de moi, toi, je t'ai trahi...
Quand tu étais si petit, si petit que tu tenais dans ma main, quand tu n'étais qu'attente et besoin, quand tu avais besoin de moi plus que d'air et de lait, je n'étais pas tout à fait là.
J'ai manqué le rendez-vous. Je t'ai manqué. Tu ne méritais pas ça. Si tu savais comme je me déteste pour ça ! Alors je t'aime doublement, plus fort, plus vite, plus haut. Je t'aime avec passion, j'ai tant à rattraper ! Je t'aime avec colère, cette colère que j'ai, contre moi qui n'ai pas su, contre la vie, cette garce, contre toi qui n'a pas réussi à me faire ouvrir les vannes le premier jour.
Alors je t'aime et je te déchire, je t'aime et je me déchire. Il faut que ce soit fort, si fort, pour que je ne doute jamais, pour que tu ne doutes jamais que mon amour existe.
Et je me sens mauvaise, du mal que je crois te faire, encore, toujours, interminablement.
Pourtant ce n'étais qu'une histoire de fil dénoué, de rendez-vous. Oh certes un rendez-vous important. Mais l'amour était là, juste caché un peu. A la culpabilité répond le pardon. Mais il a pardonné, l'enfant qui la regarde, il se sait aimé, il se sait bien aimé. Il ne reste qu'elle. En face d'elle. Et quand enfin elle se pardonnera d'être arrivée un peu (si peu) en retard, l'amour, en plus d'être fort au-delà de l'imaginable, sera paisible et apaisé.