samedi 5 février 2011

Lettre à ma mère

Maman,

Tu m'attendais tellement... Toi si mal aimée par les tiens. Toi dont le père a volé l'innocence. Toi dont la mère s'est si peu préoccupée. Tu attendais ta revanche, et cette revanche c'était moi. Tu voulais leur montrer à tous qu'ils allaient voir ce qu'ils allaient voir, que ton enfant à toi serait si parfait qu'ils ne pourraient que t'admirer. Tu avais tant besoin qu'on t'aime... tu attendais quelqu'un qui saurait t'aimer comme tu croyais en avoir besoin, comme toi-même tu te serais aimée. Tu avais besoin d'un autre toi, qui soit parfait.

Et je suis arrivée. Moi. Je n'étais pas celle que tu attendais. Je n'étais pas toi.

Tu as bien essayé. Entre dans les cases, mon bébé, réglée comme une horloge, blonde et éveillée, parfaite. Je t'ai même donné ta victoire sur le monde. Regardez-la, ma fille, la mienne, tout ce qu'elle sait faire et que les autres ne savent pas ! Elle est mieux que parfaite, on frôle le phénomène de foire. Je suis devenue ta vitrine. Je suis devenue ta poupée. Montre, montre ma fille ce que tu sais faire. Encore, encore, encore. Fais-moi plaisir. Encore, encore, encore. Et avec le sourire. Sinon je serai triste, si triste. Tu ne veux pas que maman pleure ?

J'ai fait. Encore et encore. Et puis, traîtresse, j'ai grandi. Oh juste un peu. Juste un tout petit peu trop. J'étais de moins en moins toi. Alors ce n'était jamais assez bien. Oh, presque. Mais pas assez.

Mais j'étais trop différente. Zèbre quand tu étais cheval. Et dès que j'ai pu, le plus tôt possible, comme je le pouvais, avec tout ce qui me tombait sous la main, je me suis enfuie. Pour continuer à exister. Le plus loin possible. Mais loin c'était tout près. Ma laisse était solide. Trop loin pour toi, pourtant, trop près pour moi.
Pour exister je devais te trahir. Encore et encore. Le Petit Chaperon Rouge a envoyé valser la galette et le beurre et s'est enfuie loin du loup.

Je t'ai déçue. Toujours, je t'ai déçue. Je ne pouvais pas assez être toi, je ne pouvais pas assez devenir ton bonheur. Toujours, je faisais pleurer ma mère.

Alors tu as fait une autre fille. Qui collait mieux. Oh elle aussi te décevait, jour après jour de n'être pas assez toi. Mais moins. Elle collait mieux. Elle meurt à petit feu d'être un peu trop toi, pas tout à fait assez elle. Je porte en moi la douleur de ce qu'elle a du être à ma place.

J'ai décidé, maman, de déchirer la laisse. Je suis partie très loin, j'ai aimé un homme, j'ai eu des enfants qui ne seront jamais ni toi ni moi. Cette fois je t'ai tout à fait trahie.

Alors pleure maman, pleure. Cette peine n'est pas la mienne. Elle était là bien avant moi, elle sera là bien après moi. Pleure maman, toi qui te cherches tant en l'autre parce que tu as toujours raté le plus précieux des rendez-vous, ta rencontre avec toi-même. Pleure maman, pleure.

Moi j'ai besoin de sourire.

3 commentaires:

  1. C'est juste magnifique. Puisse ce sourire se transformer un jour en rires à gorge déployée, pour tout, pour rien.. Comme ça.
    Tu le mérites!

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  2. Quel courage ! (....et quel talent :D)

    Oui, ris !!

    Oui !

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  3. Waouh, ce texte est splendide!
    En plus d'avoir un don pour l'écriture, tu me sembles avoir un regard clair et objectif sur la vie.
    J'en reste sans voix...

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